Réouverture du Musée Henri Martin

Une réouverture attendue

Le musée Henri Martin a rouvert ses portes le vendredi 6 mai 2022 au terme d’une longue période de 6 années de fermeture pour travaux, qui ont permis à ce magnifique écrin de présenter les œuvres du maître Henri Martin dans de bonnes conditions. Des volumes imposants sont  recréés, des salles allongées et rafraîchies sont servies par des perspectives avantageuses, ouvertes sur le beau parc verdoyant et bucolique… Ce nouveau musée, tant attendu, qui voit ses surfaces d’exposition doublées a su tenir ses promesses envers le public venu en nombre pour  l’inauguration.

Autoportrait – Henri Martin

Une muséographie douteuse

 L’accrochage et le choix des œuvres sont savamment orchestrés, dans les différentes salles d’exposition. Toutefois dans la salle des peintures classiques la surprise reste de taille lorsque l’on découvre sur un mur d’un vert criant le tableau de Joseph le Nègre peint par Adolphe Brune  en 1840 ! Nous avons pu percevoir beaucoup de réactions négatives et d’étonnements de la part des visiteurs de lire ce qualificatif « Nègre » qui est très mal contextualisé par la médiation et qu’il faudrait remplacer en 2022 par le mot « Noir  » tout simplement.

Certes le titre de l’œuvre est l’héritage d’une histoire que nous ne pouvons effacer, mais nous pouvons la  rendre supportable pour tous les citoyens. Le terme  » Nègre  » est le reflet de marqueurs raciaux datés, outrageant et offensant, il est intolérable. En le conservant, le musée de Cahors blesse ses visiteurs et conserve la norme raciste en vigueur pendant des siècles. Il faut le dire, garder la mémoire de ce souvenir douloureux, ne pas faire semblant que cela n’a jamais existé relève de notre responsabilité à tous, mais les mots eux doivent être adaptés à l’époque qui les emploie. Dans les conditions actuelles il est impossible de regarder Joseph (et ses semblables par associations d’idées) comme un homme dans toute sa dignité.

Toute la muséographie repensée et le travail colossal réalisé est gâché par ce partis pris qui nous laisse un goût amer. Si cette muséographie met en évidence la diversité des collections : les œuvres d’Henri Martin bien évidemment, mais également le fonds Gambetta, les paysages du Quercy et bien d’autres richesses, elle reste entachée par l’usage du mot « Nègre » qui en dit beaucoup plus sur ceux qui l’emploient  que sur le statut du charismatique Joseph, ce noir affranchi, né à Saint-Domingue vers 1793, qui servit de modèle pour ce tableau d’Adolphe Brune, mais aussi à Chassériau, à Géricault et à tant d’autres.

Les toits peints par Henri Martin

Un racisme ordinaire et banalisé

En effet  le rôle que joue la langue française dans le racisme ordinaire est à prendre en considération dans la médiation des expositions. A l’heure où la France débat de la nécessité de lutter contre le sexisme dans le langage après “Me too”, il est important de rappeler qu’il faut pareillement continuer à éradiquer ce racisme banal du quotidien, après le meurtre de Georges Floyd , dont le langage est malgré nous le vecteur, car il finit par formater et gangrener les esprits. Mais surtout il continue à stigmatiser et à choquer les visiteurs noirs des musées,  leurs enfants, leurs familles et amis. C’est  inadmissible en 2022, comment tolérer cela dans la grande ville de Cahors qui fut aussi celle de  Gaston Monnerville, ( Gaulliste, résistant, Président du conseil de la République…) quand il présida le Conseil Général du Lot de 1951 à 1971 et de tant d’autres qui comme lui aujourd’hui encore restent très attachés au respect de la dignité humaine.

Une programmation ambiguë

Que dira  SAR la Reine du Danemark Margrethe II à ce sujet lors de la prochaine exposition de ses aquarelles prévue au Musée Henri Martin pour le 15 juillet 2022 ? Pourra-t- elle le cautionner, le supporter, voire l’ignorer ? Elle sera certainement très mal à l’aise avec cela, Car en effet, après le Rijksmuseum d’Amsterdam, le Musée national du Danemark a annoncé avoir supprimé le mot  » Nègre »des titres et descriptions d’œuvres car il est une insulte pour leurs concitoyens…

Plus d’un siècle et demi après l’abolition de l’esclavage, le terme « Nègre », perçu comme raciste et stigmatisant, continue à exprimer la morgue envers les noirs, ces dévots de la hiérarchie raciale. Le terme  » Nègre  » n’appartient pas au registre banal de la conversation ordinaire. Il porte en lui la tragédie de l’esclavage, de la colonisation et du racisme. Il conserve l’empreinte du poids colossal des crimes qui l’ont forgé. Le Musée Henri Martin est-il prêt à assumer une telle charge ? Nous en doutons et aimerions penser qu’il ne le fasse pas….

Le mot « Nègre » déjà critiqué à l’époque du tableau

Dès 1826, c’est-à-dire 15 ans avant le portrait de Joseph le Nègre exposé à Cahors, Victor Hugo écrit dans son premier roman, Bug-Jargal : « Nègres et mulâtres ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Viens-tu ici nous insulter avec ces noms odieux, inventés par le mépris des Blancs ? Il n’y a ici que des hommes de couleur et des Noirs, entendez-vous, monsieur le colon ? »

A Géricault dans  « Le radeau de la méduse « , tous les honneurs sont rendus, d’avoir choisi comme modèle noir, le fabuleux Joseph, de l’avoir estimé et défendu le mettant en haut de sa composition pyramidale, pour agiter un chiffon blanc dans cet horrible naufrage duquel nous voulons aujourd’hui encore sortir dignement.